Dernier roman lu, par le Cubain d’origine française Alejo Carpentier. Il s’agit en fait presque d’un roman historique. Ici, à la veille de la Révolution Française, Sofia, son frère Carlos et leur cousin Esteban (trois jeunes Cubains de La Havane) sont amenés à rencontrer Victor Hugues, célèbre négociant marseillais installé à Port-au-Prince, devenu par la suite révolutionnaire. Grand admirateur de Robespierre, il est venu en Guadeloupe en amenant deux choses avec lui : le décret d’abolition de l’esclavage de 1794 et une guillotine qui a pas mal fonctionné à l’époque, place de la Victoire à Pointe-à-Pitre. Il a par la suite été plus ou moins gouverneur-dictateur, favorisant le travail de corsaires guadeloupéens sur les bateaux anglais, espagnols et américains (voir à ce sujet l’excellent livre de Michel Rodigneaux, La Guerre de course en Guadeloupe, éd. L’Harmattan). Sous Napoléon, il sera cette fois-ci envoyé en Guyane en tant que gouverneur pour…rétablir l’esclavage !
Cette histoire des trois jeunes cubains croisant l’Histoire de Victor Hugues est donc particulièrement intéressante. Le style de Carpentier est dense et riche, notamment les descriptions, avec très peu de dialogues et une bonne dose de lyrisme. Voici un extrait.
« Ce jour-là vit le commencement de la grande terreur dans l’île. La machine ne s’arrêtait pas de fonctionner sur la place de la Victoire, accélérant le rythme de ses coups. Et comme on était fort curieux d’assister aux exécutions, en une ville où tout le monde se connaissait de vue ou se fréquentait (un tel n’oubliait pas la rancune qu’il portait à tel autre, ou une humiliation infligée…), la guillotine centralisa désormais la vie de la cité. La foule du marché se déplaça vers la belle place du port, avec ses comptoirs et ses fourneaux, ses étalages au coin des rues, ses déballages au soleil, tandis qu’on entendait crier à tout moment, entre deux têtes hier respectées et adulées qui tombaient, les beignets et les piments, le corossol et le feuilleté, la pomme-cannelle et le pagre frais. Et comme cet endroit était propice aux affaires, il se transforma en une bourse provisoire de débris et de choses abandonnés par leurs maîtres, où l’on pouvait acheter aux enchères une grille, un oiseau mécanique ou un reste de vaisselle chinoise. On y échangeait des harnais contre des marmites, des cartes à jouer contre du bois de chauffage, des pendules de style contre des perles de la Marguerite. En un jour, l’étalage de légumes ou la vitrine du colporteur s’élevaient au rang de bazar, d’un bazar terriblement encombré, où voisinaient des batteries de cuisine, des saucières armoriées, des couverts en argent, des pièces de jeu d’échec, des tentures et des miniatures. L’échafaud était devenu l’axe d’une banque, d’un forum, d’un encan perpétuel. Les exécutions n’interrompaient plus les marchandages, les disputes ni les discussions. La guillotine faisait partie désormais de l’habituel, du quotidien. On vendait, au milieu des bouquets de persil et d’origan, de minuscules guillotines-souvenirs que beaucoup emportaient chez eux. Les enfants se creusaient la cervelle pour construire de petites machines destinées à décapiter les chats. »
29 juillet 2009
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1 commentaire:
C'est vraiment une histoire à perdre la tête !
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