Un peu de littérature, ça faisait longtemps. En fait, j'ai lu d'autres livres depuis, mais je n'ai pas eu envie d'écrire à leur propos.
Le Royaume du fruit-étoile est un recueil de poèmes (il faut lire de la poésie...) du Sainte-Lucien Derek Walcott, prix Nobel de littérature en 1992, que j'avais eu l'occasion de voir lors du 1er Congrès international des écrivains de la Caraïbe.
Dans cet ouvrage particulièrement intéressant, le poète célèbre la variété des îles de la Caraïbe, non sans s'interroger sur leur passé (l'esclavage, toujours), leur présent (les inégalités, le racisme...) et, ipso facto, leur avenir. Le thème de la mer a lui aussi une large place dans ses vers.
Une passage placé en exergue a retenu mon attention : "J'accepte cet archipel des Amériques. Je dis à l'ancêtre qui m'a vendu et à l'ancêtre qui m'a acheté : Je n'ai pas de père, je ne veux pas d'un tel père, bien que je puisse vous comprendre, fantôme noir, fantôme blanc, quand l'un et l'autre vous murmurez : "histoire"... A vous, grands-pères à qui intérieurement j'ai pardonné, je vous adresse, comme les plus honnêtes de ma race, un étrange merci, amer et pourtant exaltant merci pour cette immense friction et soudure de deux grands mondes, pareils aux moitiés d'un fruit jointes par son propre jus amer, je vous remercie de m'avoir placé, exilés de vos propres Edens, dans la merveille et le prodige d'un autre."
L'édition que j'ai eue (via la bibliothèque de Trois-Rivières) est une édition bilingue, avec le texte original anglais en regard. J'ai donc pu parfois jeter un œil au style de l'auteur. J'ai aussi relevé quelques problèmes de traduction... Le titre original de l'ouvrage est The Star-Apple Kingdom, qui a donc été traduit littéralement. Problème : star-apple désigne une réalité des Antilles, un fruit qui existe réellement, et qu'on appelle caïmite dans les îles francophones (voir la photo). Ensuite, la traductrice a traduit Kick-'em-Jenny par "Bott'-leur-le-cul-Jenny"... Or, tout habitant des Antilles s'intéressant un peu à la région Caraïbe (en fait, tout bon geek comme moi) sait que Kick-'em-Jenny n'est pas une expression inventée par Walcott, mais bien une réalité : il s'agit d'un volcan sous-marin situé au nord de la Grenade, et dont le nom n'est pas traduit en français. Mettons cela sur le compte d'une méconnaissance des réalités caribéennes, car le reste de la traduction est de bonne qualité.
J'ai d'ores-et-déjà décidé de lire d'autres recueils de Derek Walcott ! Voici un petit passage de mon choix :
"Il y avait une rosse à bord, il me tenait à l'œil
c'était le maître-coq, un gars de Saint-Vincent
avec la peau d'un gommier, une écorce rouge pelée,
et des yeux bleus éteints ; il me laissait jamais de répit,
comme s'il se croyait blanc. J'avais un cahier,
celui-ci même, dont je me servais pour écrire
ma poésie ; un jour ce gars-là me l'arrache,
le lance aux matelots à droite à gauche
en braillant : "Attrapez-le", puis se met à minauder
comme si j'étais une poule à cause des poèmes.
Il y a des affaires qui se règlent avec les poings,
d'autres avec un tolet, d'autres avec un couteau-
celle-là, c'était le couteau. D'abord, je le supplie,
mais il poursuit sa lecture : "O ma femme, ô mes enfants"
en feignant de pleurer, pour faire rire l'équipage ;
il file comme un poisson volant, le couteau d'argent
qui va se planter en plein dans le gras de son mollet,
lui, tombe dans les pommes, et il devient plus blanc
qu'il croyait l'être. J'imagine qu'entre hommes
on a besoin de bagarre. C'est pas normal
mais c'est ainsi. Il y a pas eu beaucoup de mal,
rien que des flots de sang, on est copains, moi et Vincie,
mais personne n'a plus déconné avec ma poésie." (1)
(1) Pour les puristes, mais aussi pour tous mes lecteurs anglophones, et ils sont particulièrement... heu... nombreux, voici le texte original :
"It had one bitch on board, like he had me mark-
that was the cook, some Vincentian arse
with a skin like a gommier tree, red peeling bark,
and wash-out blue eyes ; he wouldnt give me a ease,
like he feel he was white. Had an exercise book,
this same one here, that i was using to write
my poetry, so one day this man snatch it
from my hand, and start throwing it left and right
to the rest of the crew, bawling out, "Catch it",
and start mincing me like I was some hen
because of the poems. Some case is for fist,
some case is for tholing pin, some is for knife-
this one was for knife. Well, I beg him first,
but he keep reading, "O my children, my wife",
and playing he crying, to make the crew laugh ;
it move like a flying fish, the silver knife
that catch him right in the plump of his calf,
and he faint so slowly, and he turn more white
than he thought he was. I suppose among men
you need that sort of thing. It ain't right
but thats how it is. There wasn't much pain,
just plenty blood, and Vincie and me best friend,
but none of them go fuck with my poetry again."
27 octobre 2009
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6 commentaires:
C'est tout à fait trop typique: on critique le traducteur sans qu'on le nomme. Il mérite ça au moins, n'est-ce pas? D'ailleurs, tu n'as jamais acréditer les traducteurs dans tes postes sur la littérature...
C'est justement parce qu'elle fait de telles erreurs que je ne la nomme pas ! Cela dit, il s'agit de Claire Malroux. Bonjour à toi Claire si tu nous lis.
j'aime beaucoup Derek Walcott. Ceci dit l'allusion au fruit-étoile m'aurait échappé, je n'en ai pas encore vu sur l'île!
En tout cas, ça donne envie de lire, tout cela...
Et ce fruit, il est comestible??
Alors, le caïmite est en effet très rare. Il fait partie de ces fruits locaux un peu démodés, et je n'en ai jamais vu sur les marchés. Il est vrai que ça n'a pas trop de goût. Cela dit, tu peux en trouver à l'Arboretum-Mille fruits, à Sainte-Claire (Goyave). Tu visites le verger, et ils te donnent des fruits !
Claire Malroux est une traductrice réputée qui a obtenu un prix pour cette traduction. Comme toute traductrice, elle a fait des choix (concernant le sens mais aussi le rythme, etc.)qu'elle pourrait seule justifier.
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