En ce moment, j'ai un bon rythme de lecture. La preuve, je viens de finir le dernier Raphaël Confiant, L'Hôtel du Bon Plaisir. Alors, autant je n'apprécie que très moyennement les positions louches de l'intellectuel, autant j'adore ses livres et son style (proche de celui de Chamoiseau, konpè a-y).
Cette fois-ci, contrairement au dernier Chamoiseau, je n'ai pas été déçu. Dans ce roman, l'auteur nous raconte la vie des divers locataires de cet immeuble, ancien foyer pour "dénantis" construit par trois soeurs békées en 1922 dans le quartier populaire des Terres-Sainville à Fort-de-France. Il y a donc une double histoire : celle du bâtiment (il deviendra même bordel durant la Seconde Guerre Mondiale) et celle(s) des locataires. On y retrouve toute une galerie de portraits savoureux : outre les trois soeurs -vieilles filles- békées, il y a Justina Beausoleil la chabine flamboyante, Nini Jolicoeur l'ancienne prostituée mariée à un Marseillais, Victorin Helvéticus l'ancien instituteur friand de citations, Jean-André Laverrière le clarinettiste génial, Romuald Beausivoir "entrepreneur en travaux divers", la famille Andrassamy échappée des champs de canne, Syrien le Syrien, Etienne Beauvallon le bachelier devenu fou, Me Dorimont l'avocat qui se fait payer en nature, Man Florine la truculente marchande de pistaches grillées.
La richesse de cet ouvrage, c'est donc ces histoires qui font l'histoire de cet immeuble sur une trentaine d'années. La narration est particulièrement éclatée, les tranches de vies se mêlant avec des narrateurs différents (narration à la première, troisième et même deuxième personne !), mais on n'est jamais perdu grâce au talent de l'auteur à mettre en scène des personnages attachants, et grâce à ce style que j'apprécie désormais totalement.
Un petit extrait qui m'a particulièrement fait sourire :
"En y réfléchissant, Victorin Helvéticus devait, toutefois, reconnaître, en toute honnêteté, qu'il avait toujours fait preuve d'une trop grande déférence envers le Blanc. Ah, pas celui d'ici ! Non, pas le Blanc créole. La meilleure preuve en était qu'il se fichait complètement des remarques des soeurs de Lamotte au sujet de ses éternels retards de loyer. C'est que ces gens-là ne différaient des gens de couleur que par la couleur justement, la seule couleur ! Sinon, tout le reste était du pareil au même : l'accent, les mimiques, les goûts. Le Blanc créole était prévisible, voilà ! Tandis que son cousin d'outre-Atlantique, le Blanc-France, le béké-France comme le désignait le bon peuple, était un être dont nul ne pouvait deviner les sentiments ou les réactions. Victorin se souvenait encore de son premier inspecteur, un homme charmant originaire d'Angers, qui n'avait de cesse de le féliciter pour ses capacités pédagogiques, qui le notait toujours très bien et qui, du jour au lendemain, devint tout bonnement odieux. Un vrai fauve en cage ! Et la raison de cette ire subite tenait au fait que son protégé, son cher Victorin, s'était placé parmi les meneurs de la grève qui revendiquait l'octroi aux fonctionnaires créoles du supplément de salaire de 40% jusque-là attribué à leurs collègues métropolitains.
- Je vous croyais quelqu'un d'intelligent, fulmina l'inspecteur. Je vous prenais pour un évolué, un être que la langue et la culture françaises avaient affiné, que dis-je, raffiné, et voici que je tombe des nues !
Le béké-France faisait les cent pas dans la salle de classe, salle dans laquelle il avait pénétré sans frapper ni saluer Victorin, face à des élèves à la fois médusés et terrorisés. Chaque fois qu'il voulait souligner un point, il tapait violemment du plat de la main sur l'une des tables, faisant sursauter l'infortuné gamin qui y était assis.
- Comment ne comprenez-vous pas que nous, métropolitains, sommes ici en terre de mission avec toutes les difficultés que comporte un tel sacerdoce ? Difficultés d'adaptation à un climat somme toute peu clément, difficultés d'accoutumance à une cuisine non seulement trop épicée, mais qui utilise des légumes inconnus du palais européen et difficiles à digérer, difficultés de compréhension de votre patois créole que rien, semble-t-il, ne parvient à éradiquer, sans parler de vos moeurs pour le moins bizarroïdes..."
19 juin 2009
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2 commentaires:
Ouais ben faut pas croire ! Moi aussi j'ai un bon rythme de lecture : hier j'ai lu 20 pages du bouquin que j'ai commencé il y a tout juste 2 mois.
Et pas moins de 6 livres prennent la poussière en attendant que je daigne les ouvrir (livres justement offerts par la mère du blogueur, je ne sais plus comment la raisonner...)
J'espère que tu as pu lire celui que je t'avais offert...le mien était beaucoup moins intello, non? (En tout cas, je repeterai pas l'erreur, t'inquiète pas!)
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