30 janvier 2011

Le Partage des eaux

J'avais déjà lu deux livres du Cubain Alejo Carpentier : Le Royaume de ce monde et Le Siècle des Lumières. Les ayant fortement appréciés, je n'ai pu que me laisser tenter par cet autre livre. Si le premier parlait d'Haïti, le deuxième de la Guadeloupe, celui-ci se situe au Vénézuela.

Alejo Carpentier l'a écrit en 1953, après avoir passé plusieurs années dans ce pays d'Amérique du Sud. Il y raconte l'histoire d'un compositeur d'origine cubaine vivant à New York qui en a marre du train-train de son quotidien et qui accepte la mission du Conservateur d'un musée : aller dans la forêt amazonienne pour récupérer des instruments de musique amérindiens. A aucun moment de l'histoire New York ni le Vénézuela ne sont nommés, mais on devine facilement.

Abandonnant sa femme et son métier, le narrateur se retrouve donc embarqué dans une série d'aventures, accompagné par sa maîtresse : il arrive tout d'abord dans la capitale, qui voit une révolution éclater le jour-même ! Puis, il part dans l'intérieur du pays, passe par de petits villages, fait la rencontre d'une Amérindienne dont il tombe amoureux et, après un voyage sur le fleuve Orénoque, se retrouve dans un village perdu dans la jungle, fondé par un missionnaire, sorte de Thélème ou d'Eldorado sud-américain(e).

Cette histoire pourrait être un énième et banal récit du retour à l'essence même des choses, de fuite du monde civilisé pour retrouver l'état de nature originel et, par là même, se retrouver. Certes, il est question de tout ça, mais l'auteur évite l'écueil du manque d'originalité grâce à un style magistral, fait d'images foisonnantes et de références musicales et culturelles, définissant ainsi une cosmogonie propre. Ce faisant, il donne non seulement un nom à toute chose, mais également un rythme, une musicalité. En voici un extrait.


"Chacun s'isola dans le creux de son hamac. Le coassement de crapauds-buffles envahit la forêt. Des fuites, des glissades, emplirent les ténèbres de frémissements. Quelqu'un, je ne savais où, se mit à essayer l'embouchure d'un hautbois. Un cuivre grotesque rit au fond d'un cours d'eau. Mille flûtes à deux notes, aux différentes tonalités, se répondirent à travers le feuillage. Puis ce furent des peignes en métal, des scies qui mordaient des bûches, des languettes d'harmonicas, des trémolos et des stridulations de criquets, qui semblaient couvrir la terre entière. Il y eut comme des cris de paon, des borborygmes errants, des sifflements qui montaient et descendaient, "des choses" qui passaient sous nos hamacs, collées au sol, qui plongeaient, martelaient, craquaient, hurlaient tels des enfants, hennissaient sur le sommet des arbres, agitaient des sonnailles au fond d'un trou. J'étais étourdi, effrayé, fiévreux. Les fatigues du voyage, la tension nerveuse, m'avaient exténué. Lorsque le sommeil vainquit la crainte des menaces qui m'entouraient, j'étais sur le point de capituler, de crier ma peur, pour entendre des voix humaines."

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