09 janvier 2009

Les Possédés de la pleine lune

Ach, ce blog n'a plus grand chose du carnet de voyage initial, et ressemble de plus en plus à une chronique littéraire... C'est pas grave, le but principal de la littérature est de faire voyager, non?

Voici donc le dernier roman que j'ai lu, Les Possédés de la pleine lune, du Haïtien Jean-Claude Fignolé. Il s'agit de son premier roman, datant de 1987. L'auteur est à présent le maire du village dont il parle dans son livre, Les Abricots. En cliquant sur le lien, vous pourrez lire une page web assez intéressante à propos d'une action humanitaire menée dans ce village. La grande question est : "comment ai-je eu connaissance de cet auteur et de son œuvre ?". Eh bien en regardant l'émission Thalassa du 12 décembre (émission sur la Guadeloupe, incluant un reportage sur Les Abricots et son maire qui se démène comme un beau diable pour faire bouger les choses) ; vous pouvez voir des extraits des reportages ainsi que la bande annonce de l'émission sur le lien.

Le roman est, quant à lui, particulièrement moderne et original. Assez ardu à lire, cela dit. L'auteur raconte plusieurs histoires particulières, des événements arrivés à des habitants de ce village, sur fond de mythologie créole et de catastrophes naturelles. Il faut une bonne connaissance des mythes et légendes haïtiens pour parvenir à bien comprendre toutes les subtilités du style. Lequel mêle discours polyphonique, narration éclatée, et phrases extrêmement longues. Il est assez difficile d'y entrer, mais une fois accepté le contrat, on se laisse porter par ces histoires qui font l'Histoire du village. Un pêcheur ayant perdu un oeil cherche à se venger du poisson coupable, un homme est retrouvé découpé en quatre morceaux, une jeune femme ne trouve la volupté qu'en se baignant dans les rivières... Il m'est assez difficile de résumer ce livre d'une grande richesse, mais encore une fois, la littérature haïtienne montre toute sa vigueur. En voici un extrait assez savoureux, une bagarre entre le pêcheur borgne, Agénor, et son rival Louiortesse.

" Mais il était costaud, cet Agénor. Tout en muscles durs comme le fer. Il étira son corps, desserra mon étreinte. La rudesse de ses mains tomba sur mes épaules. Nous nous empoignâmes. Le ciel tonna du bruit de nos muscles et de nos souffles. Je lui tirai une bordée. Agénor para. Les cocotiers alentour tremblèrent. Un rude jouteur. Il riposta par une cabane. Le jeu ne serait pas facile. J'esquivai mais je sentis sur moi, plus vigoureuse, la pression de ses muscles. Ah ! Oui ! Costaud. Le voyage m'avait fatigué. Je faiblis. J'aurais dû attendre, patienter, prendre des forces, récupérer. Comme toujours, j'ai perdu la tête. Reviens, gueuse, reviens ! Plus que jamais, j'ai besoin de toi. Les mains d'Agénor descendirent jusqu'à mes bras, les paralysèrent. Il me lança à droite, il me lança à gauche. Privé de mes moyens, je n'étais qu'un tronc pris dans un roulis. Il me fit un croc-en-jambe. Je bandai mes jarrets. Enracinés dans le sable, ils résistèrent. J'essayais de raisonner. Garder mon sang-froid. Agénor, lui aussi, doit être fatigué. D'avoir cherché Raoul toute une nuit. Résister, puis, céder brusquement sous la pression et le surprendre. Malin, il s'est collé à moi. Ce n'est qu'un jeu. Je réussis à dégager mes bras. Feinter. Je me laisse tomber et je bascule d'un deux pieds collés. Hélas ! Ma tête n'était plus là pour me rappeler que le sable mouillé est traître. Pas du tout stable. Il glissa sous mes pieds, me déséquilibra. Agénor, juste à cet instant, tenta une deuxième prise qui me plaqua au sol.
Il cogna. La rumeur de la mer, ajoutée aux vivats du village qui fêtait la prouesse de son borgne pitoyable, me parvint dans une grêle de coups. Au visage, à la tempe, au nez, à la bouche. Ma tête bourdonne. Elle est revenue ? Mais non ! Elle fuit. Elle m'abandonne, encore une fois. J'eus le temps de cracher une dent à la face d'Agénor avant de plonger dans ma nuit. Evanoui. La nuit, plus que jamais, a un goût de sang. Et ce n'est plus un jeu."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ah ben, il te l'a dispersé façon puzzle, le Raoul... (désolé, j'ai pas trouvé mieux)